Extrait de L'express.fr :
L'auteur part sur les traces des compagnons de route de Jack
Kerouac dont la rencontre a contribué à son succès. Ici un extrait d'une
interview de l'un d'entre eux: Allen Ginsberg.
Un brunch chez Allen Ginsberg
Le rendez-vous a
lieu chez lui, dans le Lower East Side new-yorkais qui a depuis
longtemps remplacé Greenwich Village comme quartier marginal et
underground. Petit, courbé par l'âge, le crâne dégarni, la barbe
toujours aussi fournie, il a de grosses lunettes et de grands yeux qui
impressionnent derrière les verres épais. Et la voix basse, profonde,
naturellement sonore, qui contraste toujours autant (Kerouac déjà
l'avait remarqué) avec l'apparence fragile de la constitution. La voix
qui seule reflète peut-être encore cet adolescent prenant la pose, mains
dans les poches de son pardessus, légèrement rejeté en arrière, sur
cette photo prise au milieu du campus de Columbia University, il y a si
longtemps: quatre jeunes types à l'aube de la vie, par une journée de
1945. William Burroughs avec un chapeau de feutre noir, Hal Chase qui leur fera bientôt connaître Neal Cassady, Jack Kerouac entourant de ses bras Hal Chase, et Allen Ginsberg
justement -une sorte de félicité, de béatitude, de bonheur accompli
dans l'expression du visage, les yeux fermés, les paupières rabattues
sur un spectacle tout intérieur.
Dans la cuisine, le réfrigérateur semble occuper tout l'espace.
La pièce est éclairée par une fenêtre qui donne sur la cour et les
immeubles voisins, fenêtre que Ginsberg photographie régulièrement:
selon la lumière, les saisons, l'éclat de l'été, la neige éventuelle, le
givre sur un arbre dégarni, cette fenêtre se révèle un prisme à chaque
fois différent. Sur son rebord intérieur repose une édition du New York Times.
Sur la table de cuisine s'étalent quelques recueils de photographies
qu'Allen Ginsberg me fait voir, en particulier un livre récent de son
ami le photographe Robert Frank
qui habite à deux pas et qui expose ces jours-ci à la National Gallery
de Washington. Dans les pièces voisines, on aperçoit ici un lit défait,
là un coussin posé à même le sol face à un petit autel devant lequel le
poète médite chaque jour. Quelques objets rituels, un bouddha, un
harmonium dont il joue régulièrement. Beaucoup de bibliothèques,
essentiellement de la poésie. Ginsberg montre ses Catulle, les livres de
ses amis poètes, et les rayons lourdement chargés d'ouvrages d'art et
de photographies. A l'heure de notre rencontre, son dernier recueil de
poèmes, Cosmopolitan Greetings: Poems 1986-1992, vient de
paraître. Et de surcroît, on fête le cinquantenaire de la naissance de
la Beat Generation, ou plus précisément de la rencontre de Ginsberg,
Kerouac, Burroughs et des autres. L'événement sera célébré comme il se
doit puisque l'on prépare d'ores et déjà la grande exposition qui se
tiendra l'année d'après au Whitney Museum: Beat Culture and the New America 1950-1965 (superbe
catalogue!) à laquelle Ginsberg prêtera son concours très actif. On
sent toujours chez lui la même prodigieuse vitalité, même si sa santé
n'est pas très bonne -il souffre du diabète- et que Peter Orlovsky, son amant depuis quarante ans, est gravement malade. Avant d'entrer plus en détail dans la légende beat avec Carolyn Cassady,
nous avons d'abord voulu en examiner l'actualité avec l'un de ses
principaux protagonistes, soit le rôle que cette mouvance a joué dans la
seconde moitié du XXe siècle (et continue de jouer aujourd'hui).
J.-F. D. - Allen Ginsberg, on note aujourd'hui un vif regain d'intérêt pour la Beat Generation. On the Road
fait désormais figure de classique des lettres américaines. L'ensemble
de l'oeuvre de Kerouac commence enfin à être traduite en France, en
Italie, en Allemagne et ailleurs. Vous-même, vous avez fait paraître
votre recueil de poèmes Cosmopolitan Greetings dans l'intention de
marquer le 50e anniversaire de votre rencontre avec Kerouac et
Burroughs. Comment cette rencontre s'est-elle produite?
A. G. - A seize, dix-sept ans, j'étudiais à Columbia
University, à New York. A l'automne 1943, pendant ma première année,
j'ai rencontré Lucien Carr, un type qui comme son ami William Burroughs
venait de Saint Louis, et qui connaissait aussi Kerouac. Il me parlait
beaucoup de lui, me disant: c'est un écrivain, un "marin romantique qui
écrit des poèmes". J'ai voulu lui rendre visite. Ce que j'ai fait au
printemps 1944. Lire la suite...
L'auteur part sur les traces des compagnons de route de Jack
Kerouac dont la rencontre a contribué à son succès. Ici un extrait d'une
interview de l'un d'entre eux: Allen Ginsberg.
Un brunch chez Allen Ginsberg
Le rendez-vous a
lieu chez lui, dans le Lower East Side new-yorkais qui a depuis
longtemps remplacé Greenwich Village comme quartier marginal et
underground. Petit, courbé par l'âge, le crâne dégarni, la barbe
toujours aussi fournie, il a de grosses lunettes et de grands yeux qui
impressionnent derrière les verres épais. Et la voix basse, profonde,
naturellement sonore, qui contraste toujours autant (Kerouac déjà
l'avait remarqué) avec l'apparence fragile de la constitution. La voix
qui seule reflète peut-être encore cet adolescent prenant la pose, mains
dans les poches de son pardessus, légèrement rejeté en arrière, sur
cette photo prise au milieu du campus de Columbia University, il y a si
longtemps: quatre jeunes types à l'aube de la vie, par une journée de
1945. William Burroughs avec un chapeau de feutre noir, Hal Chase qui leur fera bientôt connaître Neal Cassady, Jack Kerouac entourant de ses bras Hal Chase, et Allen Ginsberg
justement -une sorte de félicité, de béatitude, de bonheur accompli
dans l'expression du visage, les yeux fermés, les paupières rabattues
sur un spectacle tout intérieur.
Dans la cuisine, le réfrigérateur semble occuper tout l'espace.
La pièce est éclairée par une fenêtre qui donne sur la cour et les
immeubles voisins, fenêtre que Ginsberg photographie régulièrement:
selon la lumière, les saisons, l'éclat de l'été, la neige éventuelle, le
givre sur un arbre dégarni, cette fenêtre se révèle un prisme à chaque
fois différent. Sur son rebord intérieur repose une édition du New York Times.
Sur la table de cuisine s'étalent quelques recueils de photographies
qu'Allen Ginsberg me fait voir, en particulier un livre récent de son
ami le photographe Robert Frank
qui habite à deux pas et qui expose ces jours-ci à la National Gallery
de Washington. Dans les pièces voisines, on aperçoit ici un lit défait,
là un coussin posé à même le sol face à un petit autel devant lequel le
poète médite chaque jour. Quelques objets rituels, un bouddha, un
harmonium dont il joue régulièrement. Beaucoup de bibliothèques,
essentiellement de la poésie. Ginsberg montre ses Catulle, les livres de
ses amis poètes, et les rayons lourdement chargés d'ouvrages d'art et
de photographies. A l'heure de notre rencontre, son dernier recueil de
poèmes, Cosmopolitan Greetings: Poems 1986-1992, vient de
paraître. Et de surcroît, on fête le cinquantenaire de la naissance de
la Beat Generation, ou plus précisément de la rencontre de Ginsberg,
Kerouac, Burroughs et des autres. L'événement sera célébré comme il se
doit puisque l'on prépare d'ores et déjà la grande exposition qui se
tiendra l'année d'après au Whitney Museum: Beat Culture and the New America 1950-1965 (superbe
catalogue!) à laquelle Ginsberg prêtera son concours très actif. On
sent toujours chez lui la même prodigieuse vitalité, même si sa santé
n'est pas très bonne -il souffre du diabète- et que Peter Orlovsky, son amant depuis quarante ans, est gravement malade. Avant d'entrer plus en détail dans la légende beat avec Carolyn Cassady,
nous avons d'abord voulu en examiner l'actualité avec l'un de ses
principaux protagonistes, soit le rôle que cette mouvance a joué dans la
seconde moitié du XXe siècle (et continue de jouer aujourd'hui).
J.-F. D. - Allen Ginsberg, on note aujourd'hui un vif regain d'intérêt pour la Beat Generation. On the Road
fait désormais figure de classique des lettres américaines. L'ensemble
de l'oeuvre de Kerouac commence enfin à être traduite en France, en
Italie, en Allemagne et ailleurs. Vous-même, vous avez fait paraître
votre recueil de poèmes Cosmopolitan Greetings dans l'intention de
marquer le 50e anniversaire de votre rencontre avec Kerouac et
Burroughs. Comment cette rencontre s'est-elle produite?
A. G. - A seize, dix-sept ans, j'étudiais à Columbia
University, à New York. A l'automne 1943, pendant ma première année,
j'ai rencontré Lucien Carr, un type qui comme son ami William Burroughs
venait de Saint Louis, et qui connaissait aussi Kerouac. Il me parlait
beaucoup de lui, me disant: c'est un écrivain, un "marin romantique qui
écrit des poèmes". J'ai voulu lui rendre visite. Ce que j'ai fait au
printemps 1944. Lire la suite...